Les Plasticiens

BELZILE, TOUPIN, JÉRÔME, JAURAN

Le 10 Février 1955

Les Plasticiens sont des peintres qui se sont réunis quand ils ont constaté que la similitude d’apparence de leurs peintures relevait d’une concordance dans leur conduite de peintre, dans leur démarche picturale et dans leurs attitudes envers la peinture, per se et dans la société humaine.

Comme le nom qu’ils ont choisi pour leur groupe l’indique, les Plasticiens s’attachent avant tout, dans leur travail, aux faits plastiques : ton, texture, formes, lignes, unité finale qu’est le tableau, et les rapports entre ces éléments. éléments assumés comme fins.

Cette conception de la peinture se passe de justification, ou plutôt elle la trouve dans ce fait en apparence banal : les Plasticiens font de la peinture parce qu’ils aiment ce qui est particulier à la peinture. C’est, en outre, une conception qui correspond à la liberté isolée du peintre dans le monde contemporain.

En étant arrivés à renoncer à peu près entièrement à toute attitude romantique de la peinture comme moyen d’expression conscient, les Plasticiens peuvent retrouver cette naïveté artisanale que caractérise l’absence de tout l’orgueil généralement associé avec une prise de conscience partielle de soi.

Les peintures des Plasticiens ne sont pas les visages de choix, mais ceux d’ultimes nécessités, d’inévitables obsessions, de réductions transcendantales. Le niveau de connaissance auquel ces peintures font appel, dans leur genèse et dans leur unité est en définitive celui de l’intuition, et non pas de la science. Si leur nécessité apparaît plus logique qu’intuitive, c’est que la simplification des moyens conduit à un résultat épuré conventionnellement admis comme excluant la personnalité.

La portée du travail des Plasticiens est dans l’épurement incessant des éléments plastiques et de leur ordre; leur destin est typiquement la révélation de formes parfaites dans un ordre parfait.

Leur destin et non pas leur but, étant donné qu’ils travaillent dans l’amour du moment présent.

Les Plasticiens n’admettent pas la postulation a priori de ce qui est élémentaire et de ce qui est parfait. Pour eux, ce ne sont pas là des données, mais des acquisitions que seul le travail individuel dans la plus entière liberté peut permettre de faire. Leurs découvertes peuvent coïncider, mais ils n’en croient pas pour autant avoir touché à une vérité objective.

Les Plasticiens ne se préoccupent en rien, du moins consciemment, des significations possibles de leurs peintures. Mais comme en ne cherchant pas à lui donner une valeur littérale, ils n’excluent aucune des significations inconscientes possibles, elle devient de ce chef le reflet de leur propre humanité.

En somme les Plasticiens obéissent à la nature, et c’est pourquoi leurs peintures tendent vers une complète autonomie en tant qu’objets.

Les Plasticiens ne prétendent pas apporter des apparences tout à fait nouvelles, ni immuables. Malraux a écrit que les tableaux naissent des tableaux. L’intuition même la plus pure s’exprime toujours à un certain degré par le truchement de souvenirs.

Le travail des Plasticiens s’inscrit également dans l’histoire de la peinture au Canada et plus spécifiquement à Montréal. La peinture non-figurative a acquis à Montréal ses droits de cité depuis les premières expositions automatistes. Elle a pu naître ailleurs avant, mais elle est véritablement née ici alors. Dans la solution qu’apportent les Plasticiens au problème posé par leur désir de peindre, la résolution automatiste amorcée par Borduas apparaît comme germinale.

La renaissance avait libéré les arts de la servitude à un rituel spirituel. Les divers grands mouvements du XIXe siècle et finalement, le Dadaïsme, le Surréalisme et l’Automatisme les ont libérés de la servitude à un rituel matérialiste. Mondrian a permis de réduire l’ultime aliénation de l’oeuvre peinte, l’extériorisation de la concentration sur soi-même.

Aphorismes Plasticiens

Le véritable rôle de l’artiste est d’engendrer la soif de la vérité. Le sens des oeuvres est toujours faussé par leur publication. Aussi la mise-au-monde doit-elle le plus possible coïncider avec la création.

Il faut travailler à  engendrer un climat d’inquiétude vis-à -vis des arts de la part du public, et non pas simplement une familiarité qui tourne facilement au mépris.

Il ne reste de spirituel que l’angoisse.

Il n’y a pas en 1955 d’art sacré : l’art est sacré.

La création qui est aussi intuition est l’unique forme de la vérité.

Est respectable dans son intégrité tout art vrai.

Est respectable dans son intégrité toute oeuvre dont j’ai l’intuition qu’elle est vraie pour son créateur.

C’est là  ce qu’on appelle l’amour du prochain, l’existence de l’autre.

Une oeuvre peut n’être pas la création de celui qui l’exécute, mais de celui qui la regarde ou d’une collectivité, plus simplement.

Ce mode d’existence d’une oeuvre aussi la rend respectable.
 
Une oeuvre peut être le moment de vérité d’un peuple, d’une civilisation.
 
Mais le goût, la propension, l’acceptation ne peuvent pas être critères de vérité : seule l’intuition intuitionnée l’est.